TUNISE : L'armée s'est mise en position de recours si un processus crédible de stabilisation politique n'aboutissait pas
Alors, avec la connivence d'un Conseil constitutionnel constitué d'hommes du président en fuite, le président du Parlement, Fouad Moubaza, un vieil homme à la personnalité incertaine, pouvait reprendre constitutionnellement la présidence par interim à Ghannouchi, qui conservait tout aussi constitutionnellement – une fiction juridique utile mais concrètement un ordre strictement benaliste – les fonctions de premier ministre et renommait dans le gouvernement d'union nationale des ministres importants du dernier gouvernement de Ben Ali. Le tout s'est déroulé sous la vigilance, en fait à l'abri de l'armée qui, en refusant d'appuyer la police et les milices, a certes été un allié objectif de la rue mais en même temps a soustrait Ben Ali à toute justice (un procès n'aurait arrangé personne de l'ancienne oligarchie, y compris militaire), permis la conservation du pouvoir par une fraction de l'ancienne oligarchie et aussi réglé ses comptes avec la police dont la prééminence sur l'armée ne date pas de Ben Ali, mais remonte à Bourguiba, dont l'Etat, par-delà de nombreuses qualités, était aussi un système policier, comme s'en souviennent à l'extrême gauche les "perspectivistes" et à l'extrême droite les islamistes.
En jouant ce rôle, l'armée s'est mise aussi en position de recours si un processus crédible de stabilisation politique n'aboutissait pas, si le désordre se poursuivait (le couvre-feu n'a pas semblé une mesure d'opérette), par un de ces retournements familiers dans l'histoire la société civile pouvant imaginer le général Ammar en homme d'ordre providentiel. Certes ce général dont on ne connaît pas grand chose pourrait avoir les qualités d'un Cincinnatus mais il pourrait aussi bien être tenté par l'aventure politique personnelle. Le coup d'Etat légal de Ben Ali ne fut-il pas déjà qualifié de "révolution du jasmin" ?
Tout dépend aujourd'hui des capacités à former des alliances crédibles et durables d'hommes et femmes de l'ancien régime pas corrompus, d'hommes et femmes de la haute administration, républicains marranisants qui ont servi l'intérêt général du pays dans des circonstances difficiles (j'en ai connu de remarquables), des syndicalistes, des hommes et femmes des partis d'opposition en état de marche et des forces civiles (ordre des avocats, association des femmes démocrates, ligue des droits de l'homme…), en sachant que la démocratie n'est pas l'unanimisme mais le débat et le compromis réglés. La course est désormais entre d'un côté l'incertitude et le désordre qui ne peuvent qu'être favorables au recours à un homme ou un corps providentiel et d'autre part les démocrates capables de former une alternative.
On doit espérer que ceux-ci l'emporteront, le destin proche de la Tunisie dépend de leur vertu (au sens de Montesquieu) à servir l'intérêt général et à dépasser leurs passions particulières.
Pierre Robert Baduel, directeur de recherche honoraire en sociologie politique au CNRS (Tours)
En jouant ce rôle, l'armée s'est mise aussi en position de recours si un processus crédible de stabilisation politique n'aboutissait pas, si le désordre se poursuivait (le couvre-feu n'a pas semblé une mesure d'opérette), par un de ces retournements familiers dans l'histoire la société civile pouvant imaginer le général Ammar en homme d'ordre providentiel. Certes ce général dont on ne connaît pas grand chose pourrait avoir les qualités d'un Cincinnatus mais il pourrait aussi bien être tenté par l'aventure politique personnelle. Le coup d'Etat légal de Ben Ali ne fut-il pas déjà qualifié de "révolution du jasmin" ?
Tout dépend aujourd'hui des capacités à former des alliances crédibles et durables d'hommes et femmes de l'ancien régime pas corrompus, d'hommes et femmes de la haute administration, républicains marranisants qui ont servi l'intérêt général du pays dans des circonstances difficiles (j'en ai connu de remarquables), des syndicalistes, des hommes et femmes des partis d'opposition en état de marche et des forces civiles (ordre des avocats, association des femmes démocrates, ligue des droits de l'homme…), en sachant que la démocratie n'est pas l'unanimisme mais le débat et le compromis réglés. La course est désormais entre d'un côté l'incertitude et le désordre qui ne peuvent qu'être favorables au recours à un homme ou un corps providentiel et d'autre part les démocrates capables de former une alternative.
On doit espérer que ceux-ci l'emporteront, le destin proche de la Tunisie dépend de leur vertu (au sens de Montesquieu) à servir l'intérêt général et à dépasser leurs passions particulières.
Pierre Robert Baduel, directeur de recherche honoraire en sociologie politique au CNRS (Tours)
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