TUNISIE : Sous la pression de la rue, le gouvernement accouche la fin de la censure, une amnistie générale et une réforme politique
Par l'envoyée spéciale du journal Le Monde
Isabelle Mandraud
La librairie Al-Kitab, tout juste rouverte en plein centre de Tunis, attire les badauds qui se pressent devant sa devanture pour découvrir, bien mis en évidence, les exemplaires de livres interdits : La Régente de Carthage, L'Economie de l'obéissance, Le Livre noir de la Tunisie...
Ayant atteint un peu plus loin leur but - le siège du RCD -, les manifestants entreprennent, ce jeudi 20 janvier, de démonter l'enseigne de l'imposant immeuble du pouvoir protégé par des blindés de l'armée. Près d'une semaine après la fuite de l'ancien chef de l'Etat, la rue, à Tunis, maintient la pression pour réclamer la fin d'un parti de 2,5 millions d'adhérents, symbole d'une dictature subie durant vingt-trois ans.
A l'autre bout de la ville, pendant ce temps, le gouvernement provisoire tente coûte que coûte de maintenir le premier conseil des ministres de l'après-Ben Ali. L'équipe n'est pas complète. Dans l'urgence, quelques minutes avant le début de la réunion, on sollicite encore des candidats. A 12 h 43, le ministre de l'enseignement supérieur, Ahmed Brahim, secrétaire général du parti Ettajdid (ex-communistes), sonde Mohamed Bennour, un ancien journaliste, en l'appelant sur son téléphone portable. "J'ai pensé à toi pour le poste de secrétaire d'Etat à l'intérieur", lui confie-t-il. Cinq minutes plus tard, l'intéressé répond par SMS : "Je ne suis pas disposé à accepter ce poste dans les conditions actuelles."
Pas question de cohabiter avec les ministres de l'ancien régime qui détiennent les portefeuilles les plus importants (intérieur, défense, affaires étrangères, économie...).
L'un d'entre eux, Zouheir M'dhaffer, chargé du développement administratif, et considéré comme l'architecte de la réforme de la Constitution de 2002 qui avait supprimé la limitation des mandats présidentiels et permis à l'ex-président Ben Ali de se maintenir au pouvoir, a préféré démissionner.
Le blogueur Slim Amamou, promu secrétaire d'Etat à la jeunesse et aux sports, continue, lui, d'informer en temps réel, sur son compte Twitter, les internautes du contenu du conseil. "C'est jouissif, raconte-t-il, d'écouter le ministre de la justice lire le mandat d'arrêt commençant par le nom de Ben Ali."
"Ils ne se rendent pas compte de l'ampleur du rejet, soupire le secrétaire général du parti Forum démocratique, Mustapha Ben Jaafar, ministre démissionnaire de la santé. Il faut un gouvernement de rupture."
Sur les murs de la capitale, les graffitis ont fait leur apparition : "Un Parlement, pas de président" ou encore "Mort au RCD".
MESURES D'APAISEMENT
Partout, les cellules professionnelles du RCD sont appelées à disparaître. Les assemblées générales se multiplient et les employés chassent les patrons coupables de s'être compromis avec l'ancien régime. Le PDG de la compagnie aérienne Tunisair, Nabil Chettaoui, dont le nom figure dans un livre à charge sur la famille Ben Ali, a préféré prendre les devants.
Par mail, il a fait passer ce message : "Eu égard aux événements, M. le président-directeur général est à la disposition de toutle personnel de la compagnie pour répondre personnellement et individuellement à toutes les questions (...) concernant toutes les décisions qui ont été prises lors des quatre années de sa gestion à la tête de Tunisair."
Sans hésiter, un salarié a répondu : "Je suis surpris que M. le PDG se soucie subitement de ce que pense ou attend le personnel. (...) Nous ne sommes pas habilités à juger sa gestion. (...) Des commissions d'enquête seront formées à cet égard."
Pour calmer les esprits, le gouvernement de Mohammed Ghannouchi a annoncé une série de mesures : restitution à l'Etat des biens mobiliers et immobiliers du RCD ; deuil national de trois jours en mémoire des manifestants tués par la police ; amnistie générale pour tous les prisonniers politiques ; commissions d'enquête sur la réforme politique, le bilan des victimes ainsi que sur la corruption.
Mais dans sa librairie, Selma Jabbes n'oublie rien. Elle raconte la censure, le visa du bureau des affaires politiques du ministère de l'intérieur qu'il lui fallait obtenir pour chaque livre importé, les visites de "brigades" en civil pour espionner.
"J'ai été convoquée une fois au ministère pour signer un document nous interdisant d'importer des livres pouvant faire du tort aux intérêts de la Tunisie, se rappelle-t-elle. Ils avaient trois boîtes d'archives de rapports sur nous."
Isabelle Mandraud 22.01.11
Toutes ces concessions nous rappellent celles de l'ancien dictateur avant qu'il tombe; est-ce la fin de ce gouvernement? (FADDA)
Isabelle Mandraud
La librairie Al-Kitab, tout juste rouverte en plein centre de Tunis, attire les badauds qui se pressent devant sa devanture pour découvrir, bien mis en évidence, les exemplaires de livres interdits : La Régente de Carthage, L'Economie de l'obéissance, Le Livre noir de la Tunisie...
A l'étage, la propriétaire, Selma Jabbes, savoure l'instant et approuve la manifestation qui grossit sous ses fenêtres pour réclamer la dissolution du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti de l'ancien président Zine El-Abidine Ben Ali. "Imaginez, dit-il, qu'après la chute du mur de Berlin le PC soit resté au pouvoir."
Ayant atteint un peu plus loin leur but - le siège du RCD -, les manifestants entreprennent, ce jeudi 20 janvier, de démonter l'enseigne de l'imposant immeuble du pouvoir protégé par des blindés de l'armée. Près d'une semaine après la fuite de l'ancien chef de l'Etat, la rue, à Tunis, maintient la pression pour réclamer la fin d'un parti de 2,5 millions d'adhérents, symbole d'une dictature subie durant vingt-trois ans.
A l'autre bout de la ville, pendant ce temps, le gouvernement provisoire tente coûte que coûte de maintenir le premier conseil des ministres de l'après-Ben Ali. L'équipe n'est pas complète. Dans l'urgence, quelques minutes avant le début de la réunion, on sollicite encore des candidats. A 12 h 43, le ministre de l'enseignement supérieur, Ahmed Brahim, secrétaire général du parti Ettajdid (ex-communistes), sonde Mohamed Bennour, un ancien journaliste, en l'appelant sur son téléphone portable. "J'ai pensé à toi pour le poste de secrétaire d'Etat à l'intérieur", lui confie-t-il. Cinq minutes plus tard, l'intéressé répond par SMS : "Je ne suis pas disposé à accepter ce poste dans les conditions actuelles."
Pas question de cohabiter avec les ministres de l'ancien régime qui détiennent les portefeuilles les plus importants (intérieur, défense, affaires étrangères, économie...).
L'un d'entre eux, Zouheir M'dhaffer, chargé du développement administratif, et considéré comme l'architecte de la réforme de la Constitution de 2002 qui avait supprimé la limitation des mandats présidentiels et permis à l'ex-président Ben Ali de se maintenir au pouvoir, a préféré démissionner.
Le blogueur Slim Amamou, promu secrétaire d'Etat à la jeunesse et aux sports, continue, lui, d'informer en temps réel, sur son compte Twitter, les internautes du contenu du conseil. "C'est jouissif, raconte-t-il, d'écouter le ministre de la justice lire le mandat d'arrêt commençant par le nom de Ben Ali."
"Ils ne se rendent pas compte de l'ampleur du rejet, soupire le secrétaire général du parti Forum démocratique, Mustapha Ben Jaafar, ministre démissionnaire de la santé. Il faut un gouvernement de rupture."
Sur les murs de la capitale, les graffitis ont fait leur apparition : "Un Parlement, pas de président" ou encore "Mort au RCD".
MESURES D'APAISEMENT
Partout, les cellules professionnelles du RCD sont appelées à disparaître. Les assemblées générales se multiplient et les employés chassent les patrons coupables de s'être compromis avec l'ancien régime. Le PDG de la compagnie aérienne Tunisair, Nabil Chettaoui, dont le nom figure dans un livre à charge sur la famille Ben Ali, a préféré prendre les devants.
Par mail, il a fait passer ce message : "Eu égard aux événements, M. le président-directeur général est à la disposition de toutle personnel de la compagnie pour répondre personnellement et individuellement à toutes les questions (...) concernant toutes les décisions qui ont été prises lors des quatre années de sa gestion à la tête de Tunisair."
Sans hésiter, un salarié a répondu : "Je suis surpris que M. le PDG se soucie subitement de ce que pense ou attend le personnel. (...) Nous ne sommes pas habilités à juger sa gestion. (...) Des commissions d'enquête seront formées à cet égard."
Pour calmer les esprits, le gouvernement de Mohammed Ghannouchi a annoncé une série de mesures : restitution à l'Etat des biens mobiliers et immobiliers du RCD ; deuil national de trois jours en mémoire des manifestants tués par la police ; amnistie générale pour tous les prisonniers politiques ; commissions d'enquête sur la réforme politique, le bilan des victimes ainsi que sur la corruption.
Mais dans sa librairie, Selma Jabbes n'oublie rien. Elle raconte la censure, le visa du bureau des affaires politiques du ministère de l'intérieur qu'il lui fallait obtenir pour chaque livre importé, les visites de "brigades" en civil pour espionner.
"J'ai été convoquée une fois au ministère pour signer un document nous interdisant d'importer des livres pouvant faire du tort aux intérêts de la Tunisie, se rappelle-t-elle. Ils avaient trois boîtes d'archives de rapports sur nous."
Isabelle Mandraud 22.01.11
Toutes ces concessions nous rappellent celles de l'ancien dictateur avant qu'il tombe; est-ce la fin de ce gouvernement? (FADDA)
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