Tunisie : Au lendemain de la révolution tunisienne, le monde arabe est dans l'embarras du choix entre le modèle turc et le modèle iranien
Dix jours après la chute du président Ben Ali, les comparaisons historiques continuent de se multiplier pour comprendre la nature de la « révolution tunisienne », et son impact possible sur l'ensemble de la région. Est-on en Pologne, à Gdansk, en 1980 et l'étincelle qui vient de s'allumer en Tunisie se traduira-t-elle dans quelques mois ou quelques années par une véritable révolution politique dans l'ensemble du monde arabe ? Est-on plutôt en Roumanie, au lendemain de la chute de Ceausescu, en 1989, et la révolution/coup d’État a-t-elle déjà été confisquée par les autorités en place ? Ces références à la libération de l'Europe centrale et orientale, faites par un certain nombre d'intellectuels arabes eux-mêmes, ont-elles vraiment du sens ? Quel serait vraiment pour le monde arabe d'aujourd'hui l'équivalent de ce qu'était pour l'«Europe kidnappée » d'hier le « bâton soviétique » ou la « carotte européenne » ?
Ne faut-il pas chercher des comparaisons au Sud plutôt qu'à l'Est de l'Europe ? Le régime tunisien, en s'ouvrant au monde par le tourisme, par l'accent mis sur l'éducation et les droits des femmes, n'a-t-il pas contribué à créer une classe moyenne vibrante comme avait pu le faire l'Espagne, dès les années 1960, sous le régime de Franco ?
Dans ce cas, une société civile serait-elle véritablement prête à prendre le relais d'un régime autocratique une fois ce dernier renversé ? Mais qui serait pour la Tunisie l'équivalent de ce que fut le roi pour l'Espagne, un symbole de la continuité de l'État et de l'unité de la nation ? Si elle est fondée, la comparaison avec la sortie du franquisme dissocie clairement l'exemple de la Tunisie de celui de l’Égypte, où il ne s'existe pas une société civile à l'espagnole.
On pourrait multiplier à l'envi les références historiques ou les analogies géographiques, qui contiennent toutes une part de vérité mais qui ne peuvent résumer la réalité unique du cas tunisien. Ce qui est certain c'est qu'il serait bien optimiste de considérer la chute du président Ben Ali comme l'équivalent pour le monde arabe de ce que fut pour l'Europe la chute du mur de Berlin. Mais il serait aussi bien imprudent de ne pas comprendre qu'il y aura un avant et un après « révolution du jasmin » - et ce, quoi qu'il arrive demain en Tunisie -pour l'ensemble du monde arabe. Les images de Tunisiens lacérant les portraits du dictateur déchu ont fait le tour du monde. Cette fois-ci, ce n'étaient pas, comme en Irak, des soldats américains qui mettaient leur drapeau sur la statue déboulonnée de Saddam Hussein, mais des citoyens arabes qui se battaient sans armes pour conquérir leur liberté et leur dignité.
En réalité, au lendemain de la révolution tunisienne, le monde arabe a deux projets de développement politique devant lui et aucun d'eux n'est « arabe », même si tous les deux sont « musulmans » : le modèle turc ou bien le modèle iranien.
Si la contestation gagne d'autres pays de la région, combien seront tentés par l'« ouverture à la turque » et combien par le « fondamentalisme à l'iranienne » ? Il est certes nécessaire d'introduire des nuances dans cette dichotomie par trop simpliste. Il y a des zones d'ombre dans l'expérience turque actuelle, en dépit de son « islam modéré » et, au-delà des mollahs, des raisons d'espérer dans le caractère vibrant de la société iranienne.
Entre ces deux modèles alternatifs, les préférences des sociétés occidentales sont claires : la Turquie plutôt que l'Iran. Autant il existe un quasi-consensus aujourd'hui en Europe pour garder une distance raisonnable entre l'Union et la Turquie, autant face aux changements et, qui sait, au désordre dans le monde arabe, un rôle stabilisateur de la Turquie serait considéré comme bienvenu.
Certes l'histoire ne se répète pas, mais l'ordre néo-ottoman ne serait-il pas la meilleure alternative au risque de chaos arabe ? La Turquie d'Erdogan ne joue-t-elle pas déjà un rôle grandissant dans la région et son image n'est-elle pas sortie renforcée auprès de la « rue arabe » lorsqu'elle a pris clairement position contre l'interception « musclée » par Israël de la flottille en route pour Gaza ?
Mais être populaire est une chose, servir de modèle en est une autre.
Par Dominique Moïsi; conseiller spécial à l'Ifri (Institut français de relations internationales)
http://www.lesechos.fr/opinions/chroniques/0201088208326-les-lecons-de-la-revolution-tunisienne-154658.php
Titre proposé par Épicentre
Ne faut-il pas chercher des comparaisons au Sud plutôt qu'à l'Est de l'Europe ? Le régime tunisien, en s'ouvrant au monde par le tourisme, par l'accent mis sur l'éducation et les droits des femmes, n'a-t-il pas contribué à créer une classe moyenne vibrante comme avait pu le faire l'Espagne, dès les années 1960, sous le régime de Franco ?
Dans ce cas, une société civile serait-elle véritablement prête à prendre le relais d'un régime autocratique une fois ce dernier renversé ? Mais qui serait pour la Tunisie l'équivalent de ce que fut le roi pour l'Espagne, un symbole de la continuité de l'État et de l'unité de la nation ? Si elle est fondée, la comparaison avec la sortie du franquisme dissocie clairement l'exemple de la Tunisie de celui de l’Égypte, où il ne s'existe pas une société civile à l'espagnole.
On pourrait multiplier à l'envi les références historiques ou les analogies géographiques, qui contiennent toutes une part de vérité mais qui ne peuvent résumer la réalité unique du cas tunisien. Ce qui est certain c'est qu'il serait bien optimiste de considérer la chute du président Ben Ali comme l'équivalent pour le monde arabe de ce que fut pour l'Europe la chute du mur de Berlin. Mais il serait aussi bien imprudent de ne pas comprendre qu'il y aura un avant et un après « révolution du jasmin » - et ce, quoi qu'il arrive demain en Tunisie -pour l'ensemble du monde arabe. Les images de Tunisiens lacérant les portraits du dictateur déchu ont fait le tour du monde. Cette fois-ci, ce n'étaient pas, comme en Irak, des soldats américains qui mettaient leur drapeau sur la statue déboulonnée de Saddam Hussein, mais des citoyens arabes qui se battaient sans armes pour conquérir leur liberté et leur dignité.
En réalité, au lendemain de la révolution tunisienne, le monde arabe a deux projets de développement politique devant lui et aucun d'eux n'est « arabe », même si tous les deux sont « musulmans » : le modèle turc ou bien le modèle iranien.
Si la contestation gagne d'autres pays de la région, combien seront tentés par l'« ouverture à la turque » et combien par le « fondamentalisme à l'iranienne » ? Il est certes nécessaire d'introduire des nuances dans cette dichotomie par trop simpliste. Il y a des zones d'ombre dans l'expérience turque actuelle, en dépit de son « islam modéré » et, au-delà des mollahs, des raisons d'espérer dans le caractère vibrant de la société iranienne.
Entre ces deux modèles alternatifs, les préférences des sociétés occidentales sont claires : la Turquie plutôt que l'Iran. Autant il existe un quasi-consensus aujourd'hui en Europe pour garder une distance raisonnable entre l'Union et la Turquie, autant face aux changements et, qui sait, au désordre dans le monde arabe, un rôle stabilisateur de la Turquie serait considéré comme bienvenu.
Certes l'histoire ne se répète pas, mais l'ordre néo-ottoman ne serait-il pas la meilleure alternative au risque de chaos arabe ? La Turquie d'Erdogan ne joue-t-elle pas déjà un rôle grandissant dans la région et son image n'est-elle pas sortie renforcée auprès de la « rue arabe » lorsqu'elle a pris clairement position contre l'interception « musclée » par Israël de la flottille en route pour Gaza ?
Mais être populaire est une chose, servir de modèle en est une autre.
Par Dominique Moïsi; conseiller spécial à l'Ifri (Institut français de relations internationales)
http://www.lesechos.fr/opinions/chroniques/0201088208326-les-lecons-de-la-revolution-tunisienne-154658.php
Titre proposé par Épicentre
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