Tunisie : la révolte est en partie la conséquence de la politique libérale menée sous les diktats du FMI et de la Banque Mondiale ... Il faut des propositions sociales pour la nouvelle Constitution ?
Samir Rabhi, enseignant, syndicaliste militant actif de l’UGTT et membre de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de la Réforme politique et de la Transition démocratique. Monsieur Rabhi a été interviewé par Mireille Court et Chris Den Hond sur la situation de la Tunisie actuellement.
C’est quoi cette « Haute Instance » ?
Samir Rabhi : Juste après la révolution, le 14 janvier 2011, le gouvernement a créé une commission pour la réforme politique et la transition démocratique. Au départ, cette commission était seulement composée d’experts en droit pour préparer des projets de loi. En contrepartie, tous les partis politiques et les organisations non gouvernementales ont créé un pôle de contrepouvoir, parce qu’ils étaient contre ce nouveau gouvernement de Ghanoussi. On a appelé ce contrepouvoir le conseil national de la sauvegarde de la révolution.
A la fin, on a créé une nouvelle instance qui est un compromis entre les deux précédents, qui s’appelle la Haute Instance de la Réalisation des Objectifs de la Révolution, de la Réforme Politique et de la Transition Démocratique. La plupart des partis politiques qui étaient contre le 1er et le 2ème gouvernement se trouvent dans cette Haute Instance, d’autres organisations comme le syndicat UGTT aussi, ainsi que la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme, l’Association des Magistrats tunisiens, le syndicat des journalistes tunisiens, l’Ordre des médecins...
Quelles sont les prérogatives de cette Haute Instance ?
Samir Rabhi : Il y a un décret loi qui a créé cette Haute Instance et qui détermine ses prérogatives : elle doit préparer des lois nécessaires à la transition démocratique et d’autre part, aussi important, elle peut jouer le rôle du contrôle du gouvernement. La Haute Instance propose des réformes et elle a aussi le droit de poursuivre la réalisation et l’application des propositions qu’elle avance. Dans ce sens-là, nous avons eu un premier rendez-vous avec le premier ministre avec des résultats concrets.
Pourquoi demandez-vous l’inéligibilité des cadres RCD ?
Samir Rabhi : Après la révolution on ne peut pas confier la reconstruction du pays aux gens qui étaient à la base, à la source de la dictature, de la corruption, qui a régné sur le pays pendant des décennies. Il faut les exclure momentanément pour la Constituante. Le peuple, les manifestants, dès le 17 décembre 2010 appellent à une Constitution qui met en œuvre le pouvoir du peuple. On ne peut pas confier cette tâche aux gens qui n’ont pas respecté la Constitution auparavant. Ils sont à exclure pour le moment, à cette étape. Ils n’ont pas de rôle à jouer pour l’instant. Pour cela ils devront être inéligibles pour cette élection spécifique de la Constituante, le 24 juillet. Après, la Constituante étant autonome, elle décidera ce qu’elle veut à propos de ce dossier.
Quelles sont les avancées depuis la révolution, surtout dans les régions pauvres à l’intérieur de la Tunisie ? Qu’est-ce qui a changé ?
Samir Rabhi : La révolution du 14 janvier reste pour l’instant plutôt symbolique. Il n’y a pas encore des changements concrets, tangibles sur le terrain, surtout au niveau social et économique. Ce sont les déshérités, les chômeurs, les exclus qui ont fait cette révolution, mais nous sommes convaincus, même avant le 14 janvier, que le gouvernement ne peut pas avoir des réponses immédiates à ces questions, parce que la politique économique et sociale est une politique néo-libérale et il est difficile de faire marche arrière rapidement et de donner des réponses immédiates aux gens. Le chômage est toujours un dossier épineux qu’on veut résoudre en changeant complètement l’approche économique et politique dans le pays. Si le gouvernement s’obstine à continuer dans la voie néo-libérale, on va reproduire le même schéma inégal de développement et de croissance et on aura les mêmes problèmes. On aura des énormes écarts entre les classes et les régions, et on n’apportera pas de réponses à ces gens qui ont fait la révolution. Mais, ce qui a changé, c’est essentiellement un changement dans l’état d’esprit. Les gens n’ont plus peur. Le gouvernement n’est plus cette chose qui fait peur. On dit haut et fort ce qu’on pense du gouvernement.
"Si on s’obstine à reproduire le même modèle de développement, on aura certainement les mêmes résultats."
Comme la révolte est en partie la conséquence de la politique libérale, menée sous les diktats du FMI et de la Banque Mondiale, est-ce que vous avez des propositions sociales pour la nouvelle Constitution ?
Samir Rabhi : C’est une bataille à mener. Nous sommes profondément convaincus qu’une Constitution sans contenu social n’a aucune valeur. Une Constitution qui assure la démocratie, le pluralisme, le parlementarisme, des choix politiques révolutionnaires, ne peut pas aller loin dans une vraie réforme sans un contenu social. L’équité sociale, la distribution équitable des richesses, l’égalité entre les régions, la réduction des écarts entre les classes sociales, la lutte contre la pauvreté, la lutte contre la paupérisation de la classe moyenne, ce sont des axes que la gauche tunisienne doit mettre en devant de leur intérêt. C’est une bataille à mener, parce que si on va s’obstiner à reproduire le même modèle de développement, on aura certainement les mêmes résultats. La révolution était à l’origine la révolution des déshérités, des pauvres, il faut que la phase post-révolutionnaire apporte des solutions réelles à ce problème. Il faut résoudre ces problèmes à la source. A entendre un des ministres actuels dire que l’époque de l’État providence est à jamais révolu, ça me fait peur, parce que nous, on a une foi inébranlable dans le rôle que doit jouer l’État dans l’époque d’après la révolution parce que le taux de chômage est exorbitant à Kasserine par exemple et dans d’autres régions de l’ouest de la Tunisie.
Donc si l’État ne prend pas ses responsabilités, et ne crée pas de grands projets, pour absorber ces masses, ces centaines de milliers de chômeurs, le capital privé ne peut pas apporter les réponses, parce que le capital privé donnera des richesses à un nombre très réduit de gens, de profiteurs. C’est l’État qui doit assumer ses responsabilités, d’abord en jouant le rôle de locomotive dans les régions pauvres et en installant un environnement d’investissement et par la suite, le capital privé peut jouer un rôle supplémentaire de l’État, mais c’est l’État qui doit intervenir d’une manière sensible et déterminante pour résoudre le problème du chômage dans ces régions.
Est-ce que la Haute Instance a discuté de l’annulation de la dette de la Tunisie ?
Samir Rabhi : La dette ne fait pas partie des prérogatives de la Haute Instance, mais cela n’empêche pas que la question est débattue à la marge des travaux de la Haute Instance. On est en train de discuter avec pas mal de gens sur la dette tunisienne. Nous considérons que c’est une dette odieuse, selon les termes du droit international, parce qu’on a déjà payé la dette et on est en train de payer les intérêts. Il y a un argument social, c’est que l’échéance qu’on paye chaque année représente six fois le budget de la santé. Ça veut dire qu’on paye les intérêts aux dépens de la santé des Tunisiens, et surtout de celle des pauvres. Nous avons plusieurs arguments forts, mais ce qu’on demande maintenant c’est la suspension de la dette, parce que nul ne peut décider de la dette et des décisions sur cette question. C’est un parlement élu qui a la légitimité du peuple et qui pourra décider par la suite de la dette. Mais nous exigeons maintenant la suspension de la dette.
La révolution a mis fin à une dictature, mais la dictature est toujours possible si le peuple ne reste pas éveillé, si le peuple ne prend pas les choses en main, si le peuple ne participe pas à la vie politique. La société civile est un domaine inexploré, brut, c’est une piste à découvrir, il faut que les jeunes agissent dans les associations pour constituer un contre pouvoir et un contrepoids à tout ceux qui vont gouverner.
Le syndicat UGTT est une institution hors norme, quel rôle pourra jouer l’UGTT dans la suite de la révolution ?
Samir Rabhi : L’UGTT a joué déterminant dans l’histoire de la Tunisie. Elle a joué un rôle très important dans le mouvement national avant l’indépendance et elle a continué à jouer un rôle déterminant dans l’État tunisien moderne, elle a un rôle social très important. Dans la révolution tunisienne, elle a apporté un soutien décisif puisque le 14 janvier, la manifestation massive qui s’est déroulé dans l’artère principale de la capitale à Tunis devant le ministère de l’Intérieur, c’était suite à une grève générale dans Tunis organisé par l’UGTT. Le 13 janvier il y avait une grève générale à Sfax et une manifestation de 200.000 personnes. Toutes les manifestations dans la région partaient des locaux de l’UGTT, donc le syndicat UGTT était vraiment le berceau de la révolution, c’était le cadre dans lequel se tenaient tous les débats qui précédaient les manifs et c’était aussi là où on se trouvait après les manifs pour se réorganiser et pour repartir de nouveau dans les manifestations qui ont abouti à la chute de Ben Ali.
L’UGTT continue à jouer un rôle important et sur le plan social, c’est à l’UGTT de préparer les dossiers et d’obliger le gouvernement, quel qu’il soit, à commencer par ce chantier déterminant et à mon avis, le plus important de tous.
C’est quoi cette « Haute Instance » ?
Samir Rabhi : Juste après la révolution, le 14 janvier 2011, le gouvernement a créé une commission pour la réforme politique et la transition démocratique. Au départ, cette commission était seulement composée d’experts en droit pour préparer des projets de loi. En contrepartie, tous les partis politiques et les organisations non gouvernementales ont créé un pôle de contrepouvoir, parce qu’ils étaient contre ce nouveau gouvernement de Ghanoussi. On a appelé ce contrepouvoir le conseil national de la sauvegarde de la révolution.
A la fin, on a créé une nouvelle instance qui est un compromis entre les deux précédents, qui s’appelle la Haute Instance de la Réalisation des Objectifs de la Révolution, de la Réforme Politique et de la Transition Démocratique. La plupart des partis politiques qui étaient contre le 1er et le 2ème gouvernement se trouvent dans cette Haute Instance, d’autres organisations comme le syndicat UGTT aussi, ainsi que la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme, l’Association des Magistrats tunisiens, le syndicat des journalistes tunisiens, l’Ordre des médecins...
Quelles sont les prérogatives de cette Haute Instance ?
Samir Rabhi : Il y a un décret loi qui a créé cette Haute Instance et qui détermine ses prérogatives : elle doit préparer des lois nécessaires à la transition démocratique et d’autre part, aussi important, elle peut jouer le rôle du contrôle du gouvernement. La Haute Instance propose des réformes et elle a aussi le droit de poursuivre la réalisation et l’application des propositions qu’elle avance. Dans ce sens-là, nous avons eu un premier rendez-vous avec le premier ministre avec des résultats concrets.
Pourquoi demandez-vous l’inéligibilité des cadres RCD ?
Samir Rabhi : Après la révolution on ne peut pas confier la reconstruction du pays aux gens qui étaient à la base, à la source de la dictature, de la corruption, qui a régné sur le pays pendant des décennies. Il faut les exclure momentanément pour la Constituante. Le peuple, les manifestants, dès le 17 décembre 2010 appellent à une Constitution qui met en œuvre le pouvoir du peuple. On ne peut pas confier cette tâche aux gens qui n’ont pas respecté la Constitution auparavant. Ils sont à exclure pour le moment, à cette étape. Ils n’ont pas de rôle à jouer pour l’instant. Pour cela ils devront être inéligibles pour cette élection spécifique de la Constituante, le 24 juillet. Après, la Constituante étant autonome, elle décidera ce qu’elle veut à propos de ce dossier.
Quelles sont les avancées depuis la révolution, surtout dans les régions pauvres à l’intérieur de la Tunisie ? Qu’est-ce qui a changé ?
Samir Rabhi : La révolution du 14 janvier reste pour l’instant plutôt symbolique. Il n’y a pas encore des changements concrets, tangibles sur le terrain, surtout au niveau social et économique. Ce sont les déshérités, les chômeurs, les exclus qui ont fait cette révolution, mais nous sommes convaincus, même avant le 14 janvier, que le gouvernement ne peut pas avoir des réponses immédiates à ces questions, parce que la politique économique et sociale est une politique néo-libérale et il est difficile de faire marche arrière rapidement et de donner des réponses immédiates aux gens. Le chômage est toujours un dossier épineux qu’on veut résoudre en changeant complètement l’approche économique et politique dans le pays. Si le gouvernement s’obstine à continuer dans la voie néo-libérale, on va reproduire le même schéma inégal de développement et de croissance et on aura les mêmes problèmes. On aura des énormes écarts entre les classes et les régions, et on n’apportera pas de réponses à ces gens qui ont fait la révolution. Mais, ce qui a changé, c’est essentiellement un changement dans l’état d’esprit. Les gens n’ont plus peur. Le gouvernement n’est plus cette chose qui fait peur. On dit haut et fort ce qu’on pense du gouvernement.
"Si on s’obstine à reproduire le même modèle de développement, on aura certainement les mêmes résultats."
Comme la révolte est en partie la conséquence de la politique libérale, menée sous les diktats du FMI et de la Banque Mondiale, est-ce que vous avez des propositions sociales pour la nouvelle Constitution ?
Samir Rabhi : C’est une bataille à mener. Nous sommes profondément convaincus qu’une Constitution sans contenu social n’a aucune valeur. Une Constitution qui assure la démocratie, le pluralisme, le parlementarisme, des choix politiques révolutionnaires, ne peut pas aller loin dans une vraie réforme sans un contenu social. L’équité sociale, la distribution équitable des richesses, l’égalité entre les régions, la réduction des écarts entre les classes sociales, la lutte contre la pauvreté, la lutte contre la paupérisation de la classe moyenne, ce sont des axes que la gauche tunisienne doit mettre en devant de leur intérêt. C’est une bataille à mener, parce que si on va s’obstiner à reproduire le même modèle de développement, on aura certainement les mêmes résultats. La révolution était à l’origine la révolution des déshérités, des pauvres, il faut que la phase post-révolutionnaire apporte des solutions réelles à ce problème. Il faut résoudre ces problèmes à la source. A entendre un des ministres actuels dire que l’époque de l’État providence est à jamais révolu, ça me fait peur, parce que nous, on a une foi inébranlable dans le rôle que doit jouer l’État dans l’époque d’après la révolution parce que le taux de chômage est exorbitant à Kasserine par exemple et dans d’autres régions de l’ouest de la Tunisie.
Donc si l’État ne prend pas ses responsabilités, et ne crée pas de grands projets, pour absorber ces masses, ces centaines de milliers de chômeurs, le capital privé ne peut pas apporter les réponses, parce que le capital privé donnera des richesses à un nombre très réduit de gens, de profiteurs. C’est l’État qui doit assumer ses responsabilités, d’abord en jouant le rôle de locomotive dans les régions pauvres et en installant un environnement d’investissement et par la suite, le capital privé peut jouer un rôle supplémentaire de l’État, mais c’est l’État qui doit intervenir d’une manière sensible et déterminante pour résoudre le problème du chômage dans ces régions.
Est-ce que la Haute Instance a discuté de l’annulation de la dette de la Tunisie ?
Samir Rabhi : La dette ne fait pas partie des prérogatives de la Haute Instance, mais cela n’empêche pas que la question est débattue à la marge des travaux de la Haute Instance. On est en train de discuter avec pas mal de gens sur la dette tunisienne. Nous considérons que c’est une dette odieuse, selon les termes du droit international, parce qu’on a déjà payé la dette et on est en train de payer les intérêts. Il y a un argument social, c’est que l’échéance qu’on paye chaque année représente six fois le budget de la santé. Ça veut dire qu’on paye les intérêts aux dépens de la santé des Tunisiens, et surtout de celle des pauvres. Nous avons plusieurs arguments forts, mais ce qu’on demande maintenant c’est la suspension de la dette, parce que nul ne peut décider de la dette et des décisions sur cette question. C’est un parlement élu qui a la légitimité du peuple et qui pourra décider par la suite de la dette. Mais nous exigeons maintenant la suspension de la dette.
La révolution a mis fin à une dictature, mais la dictature est toujours possible si le peuple ne reste pas éveillé, si le peuple ne prend pas les choses en main, si le peuple ne participe pas à la vie politique. La société civile est un domaine inexploré, brut, c’est une piste à découvrir, il faut que les jeunes agissent dans les associations pour constituer un contre pouvoir et un contrepoids à tout ceux qui vont gouverner.
Le syndicat UGTT est une institution hors norme, quel rôle pourra jouer l’UGTT dans la suite de la révolution ?
Samir Rabhi : L’UGTT a joué déterminant dans l’histoire de la Tunisie. Elle a joué un rôle très important dans le mouvement national avant l’indépendance et elle a continué à jouer un rôle déterminant dans l’État tunisien moderne, elle a un rôle social très important. Dans la révolution tunisienne, elle a apporté un soutien décisif puisque le 14 janvier, la manifestation massive qui s’est déroulé dans l’artère principale de la capitale à Tunis devant le ministère de l’Intérieur, c’était suite à une grève générale dans Tunis organisé par l’UGTT. Le 13 janvier il y avait une grève générale à Sfax et une manifestation de 200.000 personnes. Toutes les manifestations dans la région partaient des locaux de l’UGTT, donc le syndicat UGTT était vraiment le berceau de la révolution, c’était le cadre dans lequel se tenaient tous les débats qui précédaient les manifs et c’était aussi là où on se trouvait après les manifs pour se réorganiser et pour repartir de nouveau dans les manifestations qui ont abouti à la chute de Ben Ali.
L’UGTT continue à jouer un rôle important et sur le plan social, c’est à l’UGTT de préparer les dossiers et d’obliger le gouvernement, quel qu’il soit, à commencer par ce chantier déterminant et à mon avis, le plus important de tous.
Voir en ligne : Investig’Action
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