Tunisie: La sphère médiatique entre les mains de Jebali, la fatalité du chaos ou le danger de la dérive partisane? Nous méritons mieux


En 2010, rapporters sans frontière (RSF), publie dans son rapport sur la liberté de la presse dans le monde : « La chute de la Tunisie s'accentue également. Perdant dix places, elle est désormais reléguée à la 164e position ». Dans son rapport, RSF ne mâche pas ses mots envers ce pays. Au sujet des journaux d’opposition tunisiens, l’ONG estime qu’« ils sont en quelque sorte un élément de décor, permettant aux autorités d’afficher un pluralisme factice, contentant ainsi les alliés occidentaux, qui font preuve d’une grande mansuétude » (1).
 Le paysage de la presse et des médias tunisiens laisse à désirer depuis des décennies, aussi bien sous la double dictature Bourguiba/Ben Ali que durant cette période de transition politique que vit la Tunisie et ce pour plusieurs raisons de nature structurelle et idéologique. Monsieur Jebali le premier ministre Tunisiens a décidé de mettre un peu d’ordre dans un paysage médiatique chaotique, mais on craint tous qu’il n’amène le secteur dans une dérive de propagande comparable à celle de ses prédécesseurs; ça prend des institutions démocratiques qui régissent la profession et le sphère médiatique et non de simples désignations de directeurs à la tête des organes controversés.   

On peux citer, d’une façon non exhaustive, quelques unes des causes de la fragilité structurelle du secteur de l’information et de la presse tunisienne et du secteur audio-visuel :
-         Les programmes offerts à L’Institut de Presse et des Sciences de l’Information (IPSI) sont restés archaïques et dans leurs objectifs et dans leurs contenus.
-         Nos diplômés, futurs journalistes, manifestent des manquements à la profession, non, le plus souvent, par malveillance, mais par simple ignorance des règles de base de déontologie.
-         L’absence d’une loi constitutionnelle de l'indépendance des rédactions.
-         Le directeur de rédaction était, le plus souvent nommé et non élu, pire encore celui ou celle qui dirige l'ensemble du journal ou du média était nommé à son tour.
-         L’absence d’un conseil supérieur audiovisuel qui aurait pour mission d’élargir à l'ensemble de la majorité le processus de désignation des présidents de chaînes évitant les dérives partisanes.
-         L’absence d’une deuxième haute autorité audio-visuelle qui aurait pour but de tempérer en cas de conflits sur divers contenus audiovisuels à portée idéologique.
-         Les pressions du pouvoir et de l’argent exercé sur l’opinion des rédactions et sur celles des journalistes.
-         Syndicat monopolisé complice du pouvoir.

Il faut bien distinguer la notion d'indépendance des journalistes et celle de l’indépendance des rédactions par le fait que la production d'informations est un travail d'équipe, qui s'effectue dans le cadre d'un contrat de travail, avec une conférence de rédaction qui choisit les sujets à traiter.

Indépendance des rédactions (2)

Dans la profession journalistique, l'indépendance des rédactions est assurée par des moyens qui garantissent l'indépendance des journalistes d'une rédaction vis-à-vis des pouvoirs politiques ou de l'actionnaire. Elle se distingue de l’indépendance des journalistes purement dite, car il s'agit de l'indépendance d'une collectivité, la rédaction, où les articles sont systématiquement relus et discutés, et qui travaille en équipe par le biais de conférences de rédaction où sont choisis les sujets, la place qui leur est accordée, l'angle du traitement de l'information et les moyens financiers d'enquête et de reportage. La notion d'indépendance de la rédaction répond aux questions de déontologie et de crédibilité qui menacent un organe de presse quand son contenu est victime d'un conflit d'intérêt avec une autorité supérieure, qu'il s'agisse des pouvoirs publics ou du propriétaire du journal. L'indépendance de la rédaction s'illustre notamment par la désignation d'un responsable éditorial approuvé par les journalistes, ou bien, dans une formule plus modeste, la désignation d'un responsable par l'actionnaire, qui présente son projet éditorial mais doit se soumettre à un droit de veto de la rédaction par le biais d'un scrutin à bulletin secret.

Contexte international

Aux États-Unis, les quotidiens prestigieux comme le New-York Times ont des actionnaires financiers qui acceptent de ne pas intervenir dans la ligne rédactionnelle du journal, par respect pour le travail des journalistes, et achètent donc des actions sans droit de vote dont la valeur est légèrement moindre sur le marché boursier.
En Allemagne, l'indépendance des rédactions a été appliquée par l'hebdomadaire Der Spiegel à partir des années 1970, la rédaction obtenant après une série de conflits le droit d'élire son directeur. En France, ce mécanisme a servi à la croissance du quotidien Le Monde dans les années d'après-guerre, puis au quotidien Libération jusqu'au renoncement à ce statut en 2005 lors du renflouement du journal par son actionnaire Édouard De Rothschild.

Par Chafi Chaieb

Références

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