Tunisie: Délinquance politique généralisée et des élus et de leurs opposants: Il reste un climat de peur, et les Tunisiens ne se sentent pas gouvernés
La
vague de violences sans précédent qui a secoué la Tunisie lundi et mardi
soulève de nombreuses questions, notamment sur l'identité des assaillants et la cause
des troubles, selon des analystes, qui s'accordent toutefois à souligner la
faiblesse de la réponse des autorités.
Tout
semble avoir commencé avec une manifestation artistique annuelle, le Printemps
des Arts, qui s'est achevée dimanche à La Marsa, en banlieue nord de Tunis. Au
dernier jour de l'exposition, un "huissier de justice" et un
"avocat" dont les mandataires sont inconnus à ce jour, sont venus
réclamer le décrochage d’œuvres jugées offensantes pour l'islam. En cause
notamment: un tableau de l'artiste Mohamed Ben Slama représentant une femme
quasi nue avec en arrière plan des hommes barbus, et
un toile façon bande dessinée représentant un salafiste furieux.
Société
civile et artistes battent alors le rappel des troupes sur les réseaux sociaux,
personnalités politiques et intellectuels viennent "défendre la liberté de
création" au palais Abdellia de La Marsa où sont exposées les œuvres. Dans
la soirée de dimanche, des groupes d'assaillants identifiés comme salafistes
s'introduisent dans le palais et détruisent des œuvres.
Lundi
soir et mardi, des violences éclatent simultanément dans plusieurs points de
Tunis et sa banlieue, ainsi que dans des villes du nord-ouest et du sud de la
Tunisie. Des postes de police, des locaux syndicaux et de partis politiques
d'opposition, un tribunal, sont attaqués ou incendiés.
Le
ministère de l'Intérieur et plusieurs témoins mettent en cause "des
groupes de salafistes et de casseurs mêlés". Parmi les 160 personnes
arrêtées figurent de nombreux délinquants ayant des antécédents judiciaires,
selon l'Intérieur.
"La
situation est extrêmement confuse.
J'ai observé de près une des manifestations qui s'est déroulée lundi soir à
Carthage, il y avait autant de vrais que de faux salafistes dans le
mouvement", relate à l'AFP Alaya Allani, chercheur spécialisé sur les
mouvements islamistes au Maghreb.
"Ces
événements ne traduisent en aucun cas la réalité musulmane du pays",
assure le chercheur, pour qui "il y a une instrumentalisation et une
infiltration du courant salafiste, peut-être par d'anciens
Rcdistes", du nom du parti dissous de l'ancien président Zine El Abidine
Ben Ali, le RDC.
Les
salafistes eux-mêmes sont divisés, souligne M. Allani, entre ceux qui
"cherchent à négocier les modalités de leur entrée dans la vie politique,
à l'instar de ce qui se passe en Egypte, et ceux qui utilisent ou recrutent des
bandits" pour semer le chaos.
Un
responsable d'Ansar Al Charia, le mouvement le plus radical de la mouvance, a
démenti mardi à l'AFP l'implication de ses troupes dans les troubles, tout en
appelant les Tunisiens à manifester vendredi pour dénoncer les atteintes au
sacré.
"Il
y a beaucoup de manipulations", estime aussi le politologue Ahmed Manaï.
"Dans ces incidents, il y a autant de vrais que de faux barbus", et
personne, y compris l'opposition, "ne joue un jeu très net",
ajoute-t-il.
Les
thèses du complot et la surenchère, relayées et amplifiées sur les réseaux
sociaux, les manipulations --des photos d'oeuvres "blasphématoires"
qui n'avaient rien à voir avec l'exposition du Printemps des Arts postées sur
Facebook--, augmentent encore la confusion, soulignent les analystes.
"Le
plus inquiétant dans cette affaire est la faiblesse des autorités", estime
M. Manai. "A chaque fois qu'il y a un problème de sécurité publique de ce
genre, les différents ministères se renvoient la balle et fuient leurs
responsabilités alors que les forces de police ne demandent qu'à recevoir des
ordres pour mettre fin aux troubles", assure-t-il.
Le
gouvernement a réagi mardi en instaurant le couvre-feu et en assurant que les
personnes arrêtées dans le cadre des violences seraient jugées en fonction des
lois anti-terroristes.
Mais
dans le même temps, le ministère de la Culture a annoncé le dépôt d'une plainte
contre les organisateurs du Printemps des Arts pour atteinte aux valeurs du
sacré. Et le groupe parlementaire des islamistes d'Ennahda, qui domine
l'Assemblée constituante avec 89 députés sur 217, a annoncé qu'il allait
présenter un projet pour inscrire le principe d'"interdiction d'atteinte
aux valeurs du sacré" dans la future constitution tunisienne.
"On ignore qui manipule
qui et quels sont les agendas des uns et des autres", résume une source
diplomatique sous couvert de l'anonymat. "Reste un climat de peur, et les
Tunisiens ne se sentent pas gouvernés", selon M. Manai.
AFP
Source:
http://algerienetwork.com/info/international/maghreb/12278-tunisie-salafistes-culture-rumeurs-et-manipulations.html
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