Un parti islamiste peut-il gouverner en Tunisie ?

L’on peut se féliciter et même être fier de la décision prise par l'Instance supérieure de la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique instituant la parité homme/femme, en perspective de l’élection de l’Assemblée Constituante. Mais cela n’est pas suffisant, en termes de droits fondamentaux de l’Homme. La consolidation des libertés individuelles suppose aussi la séparation de la religion de la politique.
La foi est une affaire personnelle. Elle ne se discute pas. Elle a une rhétorique qui lui est propre, s’inspirant du Coran et de la Sunna. Elle forme un corpus de convictions que l’on garde pour soi mais que l’on peut partager librement avec d’autres, sans contrainte, sans injonction d’où qu’elles viennent.
A l’inverse, la politique qui est l’art de gouverner, d’administrer, de gérer, a toujours été objet de discussions passionnées et passionnantes. Elle procède d’une dialectique qui se veut instructive, démonstrative, convaincante, s’enrichissant au fil du temps par l’expérience. Elle a connu et connaît encore des formes diverses. Mais aucune d’elles n’est vraiment parfaite. Elle porte en elle un trait que l’homme a en commun avec certaines espèces animales, à savoir la tendance innée à dominer, à s’imposer, si besoin par la force. Il s’est ingénié cependant à lui trouver une parade, un garde-fou, en mettant au point des dispositifs juridiques et réglementaires de nature à tempérer cet instinct si néfaste à une vie sociale harmonieuse et consensuelle.
Tout cela pour dire que tout sépare religion et politique. A telle enseigne que depuis la nuit des temps, ce binôme n’a pas fait bon ménage.
De nos jours, on peut avancer que le développement humain peut se mesurer à l’aune des valeurs qui transcendent une société donnée. Certaines d’entre elles ont acquis une dimension universelle et constituent ainsi un socle, une référence pour tous les peuples épris de dignité, de liberté, d’égalité et de justice sociale. Ce sont elles désormais qui organisent et déterminent les relations contractuelles, librement consenties entre gouvernants et gouvernés dans les pays avancés.
En comparaison, la posture d’un parti religieux paraît peu tenable, du fait même qu’il associe religion et domaine politique, le spirituel et le temporel, le sacré et le profane. On s’empresse de rappeler l’exemple turc où un parti modéré de tendance islamiste, issu des urnes, gouverne le pays depuis une dizaine d’années, poursuivant avec succès l’œuvre de modernisation et de développement de Kamel Atatürk. Mais on feint d’oublier qu’il s’agit là d’un pays inscrivant la laïcité dans sa Constitution. Laquelle n’a souffert, depuis, aucun amendement substantiel, sans parler de la culture de la tolérance qui y est bien ancrée. Ce qui n’est pas le cas pour un pays comme la Tunisie. En témoigne le comportement d’une frange extrémiste de la population n’hésitant pas à s’attaquer, dans la rue, à des personnes pour peu que leur tenue vestimentaire ou les idées qu’elles affichent ne soient pas à son goût. Certains biens privés lui paraissant contraires à ses convictions religieuses n’ont pas non plus été épargnés.
Au fond, le problème posé c’est qu’avec un parti comme Ennahdha, la crédibilité n’est pas de mise, dans la mesure où ses dirigeants tiennent un double langage. D’un côté, ils n’ont de cesse de faire des déclarations publiques aussi apaisantes que conciliantes. De l’autre, ils laissent certains de leurs partisans se livrer à des scènes d’intimidation, voire de violence verbale et physique, sans réagir, sans condamner. Comme ils transforment quelques mosquées en véritables tribunes où les prêches prennent lieu de discours politiques, appelant les fidèles à s’inscrire dans une organisation sociale d’un autre âge. Celle qui tourne le dos à la modernité. Celle qui fait table rase des avancées de l’humanité en matière de droits de l’homme. Celle où il n’y a pas de place à la différence. Face à ces extrémistes à l’esprit formaté, le dialogue n’est guère possible, d’autant qu’ils se croient les seuls à être dans le droit chemin.
Il faut espérer qu’ils ne constituent qu’une minorité. Les Tunisiens, dans leur écrasante majorité, sont connus pour être tolérants et ouverts, mais sont prompts à refuser l’arbitraire de quelque nature que ce soit.
Si d’aventure, les islamistes parvenaient toutefois à conquérir le pouvoir par les urnes, à travers des élections transparentes et démocratiques, il serait absurde et contre-productif de ne pas respecter la volonté populaire ainsi exprimée, au risque de voir se substituer une dictature à une autre… à l’iranienne.

Par Abderrahman Jerraya
http://www.lapresse.tn/27042011/27885/un-parti-islamiste-peut-il-gouverner-en-tunisie-par-abderrahman-jerraya.html

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