Économie tunisienne: se hausser au niveau des défis majeurs auxquels le pays fait face.

Le feuilleton du remaniement ministériel a pris des mois parce que ce remaniement ne repose pas sur un programme de redressement national à la fois politique et économique. La classe politique tunisienne a montré encore une fois son incapacité à surmonter ses luttes intestines pour les chaises ministérielles afin de se hausser au niveau des défis majeurs auxquels le pays fait face.

Il faut espérer que cette classe, qui n’arrive pas encore à générer des hommes d’Etat, se rende compte que la Révolution du 14 janvier a été non seulement une révolution contre la dictature et la corruption mais surtout une révolution contre le chômage des jeunes, en particulier le chômage des jeunes diplômés, les injustices sociales et les disparités régionales. Elle s’est produite quand le système, frappé par les retombées de la crise financière et économique mondiale de 2008, n’a pas pu continuer à cacher ses abus économiques.

Pourtant la feuille de route à suivre sur le plan du redressement économique est claire et peut galvaniser les énergies de la plupart des forces politiques en présence.

Elle commence par une accélération de l’investissement public surtout dans les régions déshéritées. Le budget 2013 devrait faire l’objet d’une loi rectificative pour restreindre les dépenses courantes de l’Etat, y compris les recrutements nouveauxet les augmentations de salaires, pour maximiser l’investissement public comme moteur de croissance ayant un effet multiplicateur sur l’investissement privé. Il faut aussi prévoir, dans cette loi rectificative, une réforme de la fiscalité afin de réduire les taux d’imposition et élargir l’assiette, notamment l’impôt sur les sociétésqui devrait être fortement baissé et un meilleur contrôle des exonérations accordées. Le nouveau Code des investissements ne peut être mis en œuvre que si une telle réforme est entreprise pour éliminer la dichotomie entre les secteurs on shore et offshore.

L’accélération de l’investissement public ne peut se faire que si l’on met en place une Direction générale des grands travaux à la primature pour mettre en œuvre sans délais les grands projets (au-dessus de 300.000 DT par exemple) laissant les projets moyens aux ministères techniques et les petits projets aux conseils régionaux. Sans cette réforme cruciale, l’investissement public connaîtra la cadence de tortue qu’il connaît maintenant. Le taux d’investissement devra passer à 28-30% (la Chine fait du 50%) le plus rapidement possible et devra englober les infrastructures ferroviaire, routière, énergétique et le développement rural. Doter le pays d’un réseau ferroviaire moderne global, avec des lignes TGV sur les destinations importantes, est une priorité absolue. Développer l’agriculture et rendre attrayante la vie en milieu rural est également une priorité absolue. Regardez le Danemark ou la Suisse. Regardez le Kenya qui exporte des fleurs tous les jours par avion à Amsterdam.
Il faut restreindre la consommation des hydrocarbures en éliminant progressivement les subventions stupides, octroyées jusqu’à présent pour les remplacer par une taxation progressive comme c’est les cas dans les pays importateurs nets d’énergie. Il faut aussi éliminer progressivement les subventions de produits qui profitent peu aux catégories vulnérables de la population. Des transferts, à l’image de Bolsa familia au Brésil, à ces catégories seront plus efficaces et justifieront la solidarité nationale. Ces transferts ne devraient pas se faire sans contrepartie : il faut que les familles s’engagent à veiller à l’éduction et à la santé des enfants.
Le meilleur cadeau à donner aux catégories les plus vulnérables et à toute la population est la maîtrise de l’inflation. Le système bancaire devra être restructuré et recapitalisé le plus rapidement possible pour le débarrasser des crédits malsains qui le plombent et qui l’obligent à recourir au marché monétaire. Ces injections de liquidités ne font qu’attiser l’inflation qui va être accélérée par le « cost push’ de l’élimination des subventions. Il faudrait donc créer un mécanisme résolutoire des dettes difficilement recouvrables. Il faudrait aussi doter le pays d’une banque de développement. Pour le crédit agricole, seul le système mutuel est valable. Nous l’avions introduit dans les années soixante dans le Cap Bon et il a très bien marché.

La réforme de l’enseignement et de la formation professionnelle est également fondamentale pour aligner les institutions éducatives sur les besoins de l’économie et lier entreprises et institutions éducatives.

Un tel plan de redressement économique, dans le respect des équilibres macroéconomiques, devrait aboutir à des taux de croissance avoisinant les 6-8% et entamer la baisse progressive du chômage.Il donnera enfin de l’espoir aux jeunes qui ont fait la Révolution et qui, jusqu’ici, ne voient pas encore le bout du tunnel. Il devra miser sur une meilleure compétitivité de l’économie tunisienne et favoriser les activités à haute valeur ajoutée. La Tunisie a perdu deux ans sans grande réforme. Le spectre de la violence et des dérives sécuritaires devrait disparaître rapidement. On ne bâtit rien sur la peur. A la peur on doit substituer la confiance.

Par: Dr. Moncef GuenAncien haut fonctionnaire du FMI
Source: http://www.leaders.com.tn/article/tunisie-feuille-de-route-economique?id=10702

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