TUNISIE : La rue ne désarme pas "Nous sommes décidés à mener la révolution jusqu'au bout"

Ben Ali avait construit un État policier qui reposait sur le maillage de la population par une multitude de fonctionnaires et d'indics dépendant du ministère de l'Intérieur. A ces hommes s'ajoutait une vaste garde présidentielle, placée sous la direction du général Ali Seriati.
Cette véritable police parallèle, forte de 10 000 à 14 000 hommes ultrafavorisés, disposait de son propre réseau de malfrats. Ce sont eux qui tentent - depuis qu'ils ont compris que leur patron était parti sans ticket de retour, à moins qu'ils aient reçu des ordres de l'ex-chef de l'État - de semer le chaos et la terreur dans le pays.
Face à ces nervis de l'ancien régime, les Tunisiens résistent, décidés à protéger l'acquis de leur révolution. Dans les banlieues de la capitale et partout à travers le pays, les habitants s'organisent, créent des comités de vigilance et organisent des rondes afin d'éviter les pillages. Le mouvement est d'esprit civique: certains prennent en charge la collecte des déchets et nettoient les rues.
Le vrai défi, pourtant, est d'ordre politique. La Constitution rend en principe obligatoire l'organisation d'élections présidentielles dans les soixante jours qui suivent la vacance du pouvoir. Un délai bien court pour jeter les bases d'une démocratie pluraliste sur un champ politique en ruines, même s'il semble pouvoir être prorogé de quelques semaines. Le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, reconduit dans ses fonctions, s'est attelé à la constitution d'un gouvernement d'union nationale. Celui-ci, rendu public le 17 janvier, est composé pour moitié de technocrates. Outre le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), les trois partis d'opposition reconnus par le régime déchu, et eux seuls, y sont représentés.  
Il n'est pas certain que cela suffise à satisfaire les aspirations de la population, en particulier des plus jeunes, qui attendent des gages : "Nous sommes décidés à mener la révolution jusqu'au bout, insiste un ingénieur. La libération du pays doit se traduire par la dissolution du RCD, des partis et une presse libre, ainsi que l'ouverture d'un vrai dialogue national. Nous serons vigilants et nous ne nous laisserons pas voler notre victoire." Une revendication commence à émerger, portée par les défenseurs des droits de l'homme: la mise en place d'une commission "Vérité et justice", sur le modèle de ce qui s'est fait, dans des contextes différents, en Afrique du Sud et au Maroc. MAIS CETTE COMMISSION PERD TOUTE CRÉDIBILITÉ PAR SES AGISSEMENTS ET SES MEMBRES CORROMPUS AUX PROFILS SUSPECTS.
 La tâche est d'autant plus difficile que Ben Ali a fait le vide : l'opposition était laminée et la quasi-totalité des associations indépendantes, interdites. "Son système mafieux a écrasé toute pensée libre et asservi la presse. Retrouver les conditions d'un débat démocratique ne sera pas évident!" souligne Talbi Ghofran, un chirurgien. Ex-parti unique devenu parti dominant, le RCD, issu du parti Néo-Destour fondé par Habib Bourguiba, "père" de l'indépendance et prédécesseur de Ben Ali à la tête de l'État, encadre étroitement la population. Plus d'un Tunisien sur dix est membre du mouvement et ses cellules quadrillent le pays. Les potentats locaux du RCD sont le passage obligé pour qui veut recevoir une aide, obtenir un permis ou un certificat. Qu'adviendra-t-il de ce réseau tentaculaire? Le RCD peut sembler puissant, mais il y a longtemps qu'il a cessé d'être un parti de militants; c'est une sorte d'administration bis, plutôt, sans idéologie autre que le clientélisme.
Face à ce mastodonte qui contrôle par ailleurs, directement ou indirectement, l'essentiel du monde associatif, il ne subsiste qu'une poignée d'organisations indépendantes - l'Ordre des avocats, la Ligue tunisienne des droits de l'homme, ou encore l'Association tunisienne des femmes démocrates - qui servent de refuge aux élites intellectuelles. LA DISSOLUTION DU RCD EST PLUS QUE NÉCESSAIRE POUR ROMPRE AVEC LA DICTATURE.
Le tour de passe-passe institutionnel de Ghanouchi a pour objectif de gagner du temps et de sauver ce qui reste du régime : Ghannouchi indique qu'il "mettra en œuvre" les décisions du président Ben Ali, dont la promesse faite, quelques heures plus tôt, d'organiser dans les six mois un scrutin législatif. Mais il ne souffle mot d'une éventuelle présidentielle. Or, en cas de vacance définitive de la présidence, le chef de l'État par intérim, qui est obligatoirement le président du Parlement, est tenu d'organiser une élection à la magistrature suprême dans un délai de deux mois. AUCUNE DÉCISION N'A ÉTÉ PRISE POUR FACILITER LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE.
Une partie de l'opposition accepte la manœuvre : le pays a besoin, selon ces pragmatiques, d'une phase de transition. Mais la rue ne désarme pas. Le lendemain matin, en dépit de l'état d'urgence, des marches sont organisées dans plusieurs villes de province pour réclamer le départ de Mohamed Ghannouchi. CE DERNIER INCARNE LE SPECTRE DE LA DICTATURE QU'IL A SERVI DURANT 11 ANS ET QU'IL CONTINUE DE PROTÉGER EN GARDANT LES MÊMES MANIGANCES D'UN CLAN CRIMINEL.

 Dominique Lagarde, avec Axel Gyldén revisité par Chafi Chaieb doctorant écologue au Canada




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